ALAIN SCHLOCKOFF
Alain Schlockoff, est critique de cinéma, fondateur de revues, créateur de festival de cinéma mais il est également LE pionnier de la promotion du cinéma fantastique !
-Bonjour Alain, pouvez-vous nous dire comment votre amour pour le cinéma fantastique est né ?
En fait, c’est en allant assister avec mon père à la projection, en salle, dans le quartier de Pigalle, du « Monstre des temps perdus » d’Eugène Lourié, qui venait de sortir. J’avais 5 ans. Certains passages du film (le début, notamment, dans les glaces, où une petite expédition est cernée par un monstre géant datant de la préhistoire) m’ont terrifié. Et j’ai voulu retrouver cette sensation de peur, revivre des émotions fortes. Cela a été le cas pour « Godzilla », pour « Le Fantôme de la Rue Morgue » (alors interdit aux moins de 16 ans ! Et quelques années plus tard, de « Frankenstein s’est échappé », le premier film de la Hammer que j’ai vu, et qui m’a beaucoup marqué. Par le plus grand des hasards, je ferais la connaissance, 23 ans après la vision du « Monstre des temps perdus », soit en 1976, d’Eugène Lourié, à Los Angeles. Nous deviendrons amis, et étant alors pour ma part producteur, nous avions eu un projet de collaboration ensemble, une production fantastique franco-américaine, à base d’effets spéciaux, se déroulant à Paris. Mais on ne trouvera pas le financement complet (seulement la moitié) et donc le film ne se fera pas, hélas. Mon amour du genre est donc lié aux grands monstres et aux archétypes.
-Depuis combien de temps aujourd’hui est née l’écran fantastique et dans quel conditions ?
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Je détaille tout ça dans le n° 400 du magazine (pour la Ière fois). Mais allons-y : l’EF est né en 1969, en tant que fanzine. J’avais auparavant créé plusieurs fanzines, dont le plus important était Horizons du fantastique (juin 1967, l’année de mon bac ! ^^). Lequel, dès le n° 2, devint une revue imprimée professionnelle (jusqu’en 1976, année de sa fin de parution). Au numéro 4 de ce magazine que j’avais créé, j’en fus exclu (du moins, c’est le sentiment que j’éprouvais alors) par mon « associé », celui qui m’avait rejoint en cours de route. Il voulait sans doute avoir les mains libres, je suppose (une situation que je retrouverais plus tard d’ailleurs avec la revue « vendredi 13 », que j’ai créée également). Donc, frustré, mécontent mais pas découragé, je décidai de repartir à zéro avec un nouveau fanzine, que je baptisais l’Écran Fantastique. Pendant presque un an, il y aura plusieurs numéros, à parution régulière. Ils étaient diffusés par une société qui se nommait La Lyre Diffusion. Devant le succès des ventes du fanzine, le directeur de la firme me propose de transformer l’EF fanzine et revue professionnelle imprimée. ET c’est ainsi que paraît le nouveau n° 1 (il y aura 3 fois un nouveau départ en tout, à partir du n° 1, dans l’histoire de l’EF, donc, nous ne sommes pas au numéro 400, en réalité, mais au numéro 420 ou plus… en décembre 1970. J’avais, 3 ans après, ma « revanche » sur Horizons du fantastique et son éditeur, mais surtout, le bonheur de faire en toute liberté la revue que je souhaitais. Après pas mal de hauts et de bas, quand même, la parution deviendra régulière à partir de 1977. Soit 41 ans de parution régulière et 49 ans d’existence !
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-Parlez-nous du Festival du Film Fantastique qui ces déroulé au Palais des Congrès et au Grand Rex, si je ne me trompe pas.
C’est une longue histoire. Qui a débuté en mai 1972 au Théâtre des Amandiers de Nanterre, sous le titre de « La Convention Française du Cinéma Fantastique ». Je voulais créer un festival du film fantastique en France (ça n’existait pas alors dans l’hexagone), pour promouvoir de façon efficace un genre sous-estimé (pour ne pas dire méprisé par les médias). La première année, aucune salle à Paris ne voulait de nous, donc je me suis rabattu sur la salle en question. Le succès de la Ière édition a permis à la seconde de se tenir à Paris (au Palace). On passait d’une salle de 600 places à une salle de 1 200 places. L’appellation « Convention » à l’américaine ne signifiant rien à personne, dès la seconde année j’ai appelé la manifestation Le Festival International de Paris du Film Fantastique et de Science-Fiction. C’était plus clair. Gros succès chaque année, qui nous a permis d’émigrer en 1975 au Palais des Congrès (3 700 places, toutes remplies) puis d’émigrer au Grand Rex à partir de 1977. Le Festival s’est arrêté une année en 1989, suite à la guerre du Golfe (sponsors se retirant, peur du public à cause des attentats, etc.). Il devait reprendre l’année d’après au Palais des Sports de Paris (coproducteurs avec moi), puis à Bercy (6 000 places, tout était prêt… puis encore au Palais des Congrès. Mais finalement, il n’a jamais repris, car je ne voulais plus reprendre le risque de tout financer tout seul comme je l’avais fait depuis les débuts et les circonstances on fait que je n’ai pas trouvé les appuis nécessaires, malgré l’immense succès public du festival depuis ses débuts et pendant toute sa durée.
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-Lors de notre rencontre à la premier édition de la FANTASTIKCON, vous m’avez dit avoir fait connaître entre autres des films comme « la maison près du cimetière de Lucio Fulci » avec notamment Silvia Collatina que nous avons eu le plaisir de recevoir l’année dernière également. Pouvez-vous nous en dire plus ?
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À l’époque, j’étais importateur-exportateur de films, programmateur de salles, distributeur et bien sûr, j’organisais un festival. J’ai repéré les films d’horreur de Lucio Fulci et les ai fait venir en France (avec Lucio Fulci, que j’invitais). Cela concernait entre autres : « L’Enfer des Zombies », « Frayeurs » et « La maison près du cimetière ». Pour ce dernier, j’avais remarqué une étonnante petite fille, dans le film. Silvia Collatina. Que j’ai eu le plaisir de retrouver, adulte, au Bloody Week-End puis au Fantastikcon. Elle est charmante, séduisante, belle et se passionne depuis toujours pour le genre. C’est un vrai bonheur de la revoir à chaque fois, toujours aussi souriante et agréable avec tout le monde. Et on évoque nos souvenirs communs, ceux liés à Lucio Fulci.
Au cours de toute votre carrière vous avez rencontré des stars, dont certains sont restées proche sûrement. Vous avez des petites anecdotes pour nous ?
Tout dépend ce qu’on appelle des stars. Il y a les stars du genre, et les stars en général (comme Hugh Jackman, que j’aime beaucoup). Dans le fantastique, j’étais ami avec Peter Cushing (mon préféré), Christopher Lee et Vincent Price, hélas tous disparu malheureusement (on n’est immortel que dans les films….) Des anecdotes, j’en ai, mais elles sont plutôt personnelles, certaines sont au détriment de la personne et je ne désire donc pas les évoquer. Juste un souvenir heureux, plus qu’une anecdote : parmi les vedettes féminines du fantastique (Barbara Steele et autres), celles de mon époque, il y en a une que j’avais remarquée : Ingrid Pitt (Vampire Lovers, Comtesse Dracula, etc). Le pur hasard a voulu que nous nous rencontrions un jour (en 1974). Et notre rencontre est allée au-delà de ce que j’aurais imaginé. On était, alors, très attaché l’un à l’autre. C’est un joli souvenir plus qu’une anecdote. Elle nous a quittés elle aussi. Par contre, beaucoup sont toujours vivants, parce que je les ai connus très jeunes et que nous avons « tissé » des liens d’amitié (comme Sam Raimi).
Il me semble que vous avez participé à la programmation du festival AVORIAZ à une époque, comment cela s’est passé ?
C’était la 2e année du Festival d’Avoriaz, en 1974. Mais après cette édition, nous nous sommes fâchés, Lionel Chouchan et moi, et cette collaboration s’est arrêtée-là.
Parlez-nous un peu des magazines FANTASTYKA, TOXIC et VENDREDI 13.
Fantastyka, je l’ai créé pour faire plaisir à mon ami et principal collaborateur Pierre Gires. Il faisait beaucoup de dossiers rétro dans l’EF, qui était alors (jusqu’en 1980) une revue « archives ». Mais à partir de 1980, nous avons transformé ce trimestriel consacré à l’histoire et aux thématiques du cinéma fantastique en un magazine d’actualité. Bien sûr, une partie « archives » figurait toujours dans l’EF, mais nous n’avons pas le luxe de bénéficier de 130 pages comme aujourd’hui, seulement 80. Et donc, la partie qui concernait Pierre Gires se réduisait à une dizaine de pages par numéros. D’où une frustration légitime pour lui mais aussi pour moi. J’ai donc décidé, ayant une société d’édition, d’éditer une revue modeste en noir et blanc qui reprendrait la formule de l’EF de jadis, uniquement rétro. Ainsi est né Fantastyka. A une certaine période de l’EF, j’ai eu affaire à deux éditeurs malhonnêtes qui ont « kidnappé » l’EF (dont je suis le propriétaire, plus l’éditeur, aujourd’hui, mais toujours le propriétaire du titre). Bien sûr, j’ai immédiatement intenté un procès à ces deux escrocs (procès que j’ai gagné), mais durant la procédure, longue de 4 mois, l’EF ne m’appartenait plus. Je connaissais le groupe Puti. Durant cette période, ils m’ont proposé de créer deux magazines de cinéma, dont un sur la SF (qui devait s’appeler Ciné-fantasy, je crois). Pour le premier, on collaborait à l’émission d’horreur sur la 5e chaîne, et donc, on a pensé à en faire un magazine de cinéma d’horreur. J’ai trouvé le titre : vendredi 13. Sachant que dans leur maison d’édition ils avaient 2 excellents maquettistes (qui se consacraient à des revues mettant l’accent sur Schwarzenegger et Stallone), j’ai imaginé une revue très visuelle, avec de belles photos, une belle mise en page, un papier magnifique, et destinée plutôt au jeune public. Rédactionnelles, j’ai mis mon équipe de l’EF sur le coup. Le premier numéro a été tiré à 150 000 exemplaires et vendu à 50 000 exemplaires, ce qui demeure le record pour un magazine d’horreur français. Via vendredi 13, j’ai connu, pour la première fois, un très jeune lectorat (9-14 ans). Un lectorat qui m’a plu. Et puis, après avoir gagné mon procès, j’ai pu reprendre l’EF. J’ai créé une maison d’édition pour l’éditer. Et notre collaboration à vendredi 13 s’est arrêtée (au n° 4). Mais j’avais aimé ce nouveau lectorat. Moi qui aime surtout la SF, la fantasy, le merveilleux, etc., faire un magazine d’horreur m’avait amusé. Et je voulais continuer. J’ai donc créé Toxic, que j’ai édité (mais pas, évidemment, avec les mêmes moyens financiers que ceux du groupe Putti qui publiait 30 mensuels par mois). Toxic a donc été une version « modeste » de vendredi 13.
-L’ECRAN FANTASTIQUE semble avoir de beaux jours devant lui (pour notre plus grand plaisir !). Comment faites-vous pour sortir du lot surtout à un moment où la presse papier semble s’essouffler au détriment des autres moyens de communications, que vous utilisez également ?
En fait, c’est grâce à une idée de notre éditeur. C’est lui qui a eu l’idée de « gonfler » notre magazine à 150 pages. On sort donc du lot bien que tout le monde semble nous « imiter » actuellement… L’EF est devenu un « objet », au-delà du magazine. Ce qu’il était du reste en 1977, lors de la période dos carré collé format à l’italienne. Dans le domaine du fantastique, il est donc à part. Un objet par son volume et son poids, mais aussi par sa mise en page très soignée. Avec autant de pages, et une liberté rédactionnelle totale, j’ai pu aménager cette revue et en faire 3 en 1, reprenant Fantastyka et Toxic. Ce qui nous permet de travailler en amont, et donc, d’avoir une qualité de textes et de présentation très grande. Ce qu’on propose aujourd’hui dans l’EF, on ne le trouve pas ailleurs, ni sur le web. C’est cette différence et le volume d’infos contenu dans chaque numéro qui nous distingue et qui fait le succès de la formule. Dans le même élan, nous qui ne faisions que 1, voire 2 hors-séries par an, on s’est mis à en faire 4. Ces numéros ont connu un gros succès également, et à présent, on va en faire 7 par an ! Soit 18 numéros de l’EF annuellement, ce qui est énorme. Mais je crois que le succès de l’EF est la conséquence du fait que nous écoutons notre lectorat. Je lis tous les courriers et mails qui nous sont adressés et j’en tiens compte. Et la présence de l’EF, très actif sur Facebook et nos autres sites du web, nous aide également.
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Les films fantastiques Espagnole (l’orphelinat, rec…) et Japonais ( Ju-on, the grudge…) sont très présents, aimez-vous ce cinéma ?
Oui, beaucoup. Le cinéma fantastique espagnol est à la fois personnel et de qualité. Il possède une « authenticité » qui en fait tout le charme, et de jeunes cinéastes talentueux. D’une manière générale, le cinéma asiatique, sur le plan du fantastique et de l’horreur, se porte bien (Thailande, Corée, Indonésie, etc). J’ai toujours aimé le cinéma japonais du genre, jadis surtout axé « keiju eiga » (les monstres géants), aujourd’hui plus versé dans l’horreur. C’est l’un des meilleurs cinéma au monde.
Le cinéma de genre Français semble avoir un peu de mal à sortir la tête de l’eau au milieu de toutes les autres productions étrangères. Un explication ?
-S’il y a de plus en plus de films de genre faits par des Français, le succès n’est pas toujours au rendez-vous, loin de là. Car les spectateurs français préfèrent les films américains, et étrangers d’une manière générale. Ils se méfient de la production nationale. Mais les choses vont changer, avec l’initiative du Centre National de la Cinématographie de défendre et soutenir le « cinéma de genre ». C’est la Ière fois. Récemment, « Ghostland », du Français Pascal Laugier, qui est un film d’horreur, a plutôt bien marché en France